Jean Vigo et Jean Dewasne

L'Atalante

Publié le vendredi 18 décembre 2009 21:09 - Mis à jour le jeudi 16 mai 2013 13:28
Jean Vigo a écrit " L’Atalante" un récit plein de poésie, mais aussi de réalisme, avec des personnages dont l’existence se révèle particulièrement forte ; " L’Atalante" nous raconte une histoire d’amour, de rêve, mais aussi et surtout, de réalité, sur des images merveilleuses, dont l’historien de l’art Elie Faure se plaisait à souligner la qualité en mai 1934, dès sa parution, et qui font ce "plaisir des yeux" dont parle si bien François Truffaut.

Le projet et sa réalisation

Malgré l’interdiction de "Zéro de conduite", Jacques-Louis Nounez et Jean Vigo envisagèrent de tourner leur premier long métrage, intitulé "L’Atalante". Cependant, cette fois, le producteur soumit au jeune cinéaste "un scénario vraiment très anodin" sur lequel, il pensait que la censure ne pourrait pas intervenir. Contraint donc, d’accepter un sujet conformiste, Jean Vigo escomptait bien remanier le scénario proposé par Jean Guinée et réaliser malgré tout, une oeuvre vraiment personnelle.

Le projet bénéficia de fonds considérables, ce qui permit à Vigo de faire appel à l’éblouissant Michel Simon. Néanmoins, le tournage débutant en hiver, les conditions de réalisation ne furent guère favorables, d’autant plus que les multiples interventions de la Gaumont ne simplifièrent pas la situation.

 

L’adaptation

Rejetant les conventions prônées par Jean Guinée, Jean Vigo chercha à marquer une nette distanciation par rapport au scénario original, qu’il adapta avec beaucoup de subjectivité. Pour ce faire, il transforma de nombreuses séquences. Par ailleurs, certains plans furent supprimés, en raison du retard pris dans le tournage.
L’Atalante : photo extraite du film

La Gaumont, par ses interventions, mutila l’oeuvre du jeune cinéaste, allant même jusqu’à donner un nouveau titre au film : Le Chaland qui passe. Jean Vigo, atteint de septicémie, ne put défendre L’Atalante et n’assista, du reste, qu’à une projection du premier montage. Un mois après sa sortie, il s’éteignit à l’âge de 29 ans.

Toutes les modifications auxquelles le montage original a été soumis, ont défiguré l’oeuvre.

Toutefois, un exemplaire relativement fidèle a été très récemment reconstitué par la Gaumont "repentante", et celui-ci donne une bonne idée du chef-d’oeuvre de Jean Vigo.

Une lecture de "L’Atalante" par les élèves du lycée Jean VIGO.

Il y a maintenant une soixantaine d’années que Jean Vigo a écrit une oeuvre cinématographique qui a fait bouger son temps et nourrit encore le nôtre. C’est en effet à Monsieur Jean Vigo que l’on doit les films de qualité d’aujourd’hui, comme le soulignent les amateurs et critiques de cinéma, et les auteurs eux-mêmes : François Truffaut, l’auteur des "400 coups" parle bien de la dette du cinéma contemporain à l’égard de l’auteur "Zéro de conduite" : Jean Vigo.

Tourné en 1933, "L’Atalante" est le dernier film de Jean Vigo.

"L’Atalante" est le nom de la péniche sur laquelle se déroule l’essentiel des scènes de ce film. Ce nom fascine, envoûte et interpelle par sa sonorité : il nous renvoie à la mythologie grecque.

Atalante était une héroïne qui excellait à la course et promettait d’épouser celui qui la vaincrait. Hypomène y parvient en jetant sur la piste, trois merveilleuses pommes d’or que sa belle concurrente ne peut se défendre de ramasser... On trouve aussi le nom d’Atalante parmi les membres de l’expédition des Argonautes.

La Jeunesse, l’Amour, les embuscades du Tentateur, l’Eau, la navigation... tous ces aspects du Mythe se retrouvent dans un film que Jean Vigo a voulu placer sous le signe de la Légende.

L’histoire

La jeune femme ici se nomme Juliette, un prénom qui évoque encore une autre légende bien connue. Juliette est une jeune paysanne qui épouse Jean, un jeune marinier. Le film commence sur cette scène de noces qui évoque une farce paysanne. La noce accompagne les mariés jusqu’à la péniche où le Père Jules et le mousse les attendent avec des fleurs. Les mariés embarquent, la péniche s’éloigne et la noce reste stupide sur la rive.

Jean, le marinier, aime cette vie sur sa péniche... Il aime cette vie simple dont les itinéraires sont fixés par les ordres de la Compagnie et dont les escales seules, rompent la monotonie.

Juliette se montre une bonne épouse : elle organise la vie à bord de la péniche, elle s’acquitte des tâches ménagères... Mais elle ne tarde pas à s’ennuyer aux côtés d’un homme renfermé, fragile, possessif. Elle éprouve le besoin de s’évader des contraintes que lui impose son mari, jeune homme idéaliste, fier, souvent d’humeur massacrante... Jeune femme pleine de vie, Juliette désire aussi s’amuser... Un peu naïve, tendre, belle et amoureuse, elle veut aussi découvrir la vie si proche... Poussée par la coquetterie, la frivolité, elle veut connaître le luxe, Paris, la grande ville.

Jean ne répond pas à ses désirs : il ne s’intéresse qu’à son travail de marinier qu’à sa péniche. Il va bien avec Juliette dans une guinguette, mais il ne paraît pas y prendre plaisir ; il le fait pour plaire à Juliette. Juliette au contraire, aime la vie, tout ce qui divertit, ce qui est moderne et nouveau. Elle s’ennuie sur L’Atalante.

Elle va voir le Père Jules dans son domaine à lui : c’est un vieux loup de mer qui semble détaché de la réalité au milieu de ses chats et de son bazar... Un personnage plein d’humour et de tendresse... Drôle et sensible... Personnage secondaire qui domine pourtant tout le film... Un vieux marin, voyageur et conteur d’histoires qui fait penser à Sinbad le marin... Tous les objets que le Père Jules a ramenés de ses voyages la fascinent.

Tentée par la ville et ses plaisirs, elle finit par succomber. Victime du "Malin" tentateur - ici le personnage du colporteur camelot qui propose à Juliette de l’amener à la ville et lui fait miroiter les plaisirs qui l’attendent. Ce colporteur musicien est ici comme le profanateur de l’innocence, mais aussi, la clé de la porte des rêves.

Juliette part au hasard dans la ville obscure. Malheureusement, la réalité ne répond pas à ses rêves. Jean lève l’ancre sans l’attendre. Elle se trouve comme abandonnée, sans argent, ni travail.

Pour finir, Juliette reviendra sur L’Atalante, ramenée par le Père Jules parti la chercher dans Paris. Cet aventurier en retraite qui aime à raconter sa vie est en fait un homme très sensible, tendre et aimant qui se cache derrière des airs et des allures de voyou et de bourlingueur revenu des lointains du temps de "La grande France", dont nous parle tant le cinéma des années trente.

 

Juliette revient avec Jean sur L’Atalante. Mais rien ne sera plus comme avant désormais : Juliette ne ramène-t-elle pas un peu de rive à bord ?

L’Atalante : photo extraite du film

L’ Atalante : Les lieux et le moment

"L’Atalante" nous raconte une histoire vécue : celle d’un couple de mariniers dans les années 1930, accompagné d’un vieux marin, le Père Jules et d’un matelot.

L’histoire se déroule sur une péniche nommée "L’Atalante" : cette péniche constitue comme une sorte de "huis-clos" et présente un lieu surprenant et magique : la cabine du Père Jules. On pourrait la comparer à un Marché aux Puces. Elle contient des objets venus des quatre coins du Monde, aussi invraisemblables les uns que les autres. Dans ce capharnaüm, on découvre également une multitude de chats. En pénétrant dans cette cabine, nous avons le sentiment de faire un rêve éveillé. La cabine des jeunes mariés paraît alors bien austère.

Le film charme aussi par les images de navigation et de grand air. La péniche en effet, navigue sur la Seine et les canaux, et parvient même jusqu’à la mer : La Manche, symbole d’espace et de liberté.

Les quatre personnages principaux vivent sur cette péniche : ils y travaillent, ils y mangent, ils y dorment, ils y passent leurs loisirs, ils y vivent leurs passions. Il faut aimer le temps du Nord maussade, il faut aimer naviguer sur les canaux monotones pour s’embarquer dans pareille aventure... Cette navigation de la péniche est l’occasion de superbes images ; le passage de l’écluse notamment, qui se fait ici avec l’aide d’un enfant qui aide à larguer les amarres pour laisser partir L’Atalante.

Le film offre encore de belles images qui montrent les grands complexes industriels, ces quais où sont chargées les péniches : des grues monstrueuses, de gigantesques portiques, de grandes constructions métalliques, squelettiques aux formes géométriques, noires, se détachant sur le ciel, suspendues au-dessus de l’eau... Leur grandeur et leur simplicité font penser à des jeux d’enfants.

Le film tout entier se déroule dans ce monde mystérieux des mariniers, le monde du fleuve, des canaux, de la mer, l’espace secret de la péniche, et tout cet environnement de quais, de machines à embarquer et débarquer, tout ce qui fait cette vie étrange de ce petit monde mal connu des mariniers.

L’ Atalante : Le temps, l’époque dans laquelle se situe le film

Le film nous ramène au coeur des années 1930... Comme le montrent les images descriptives : les vêtements, les coiffures, la musique, les chansons, le vieux tourne-disques, évoquent dans un réalisme précis, cette époque.

Une époque marquée par les difficultés économiques, le chômage, la délinquance : Juliette éprouve des difficultés à trouver du travail à Paris, et se fait voler son sac à main par un jeune homme... L’on peut voir encore l’image d’une file d’attente de pauvres gens qui cherchent du travail, un emploi devant une usine... D’autres images nous montrent les conflits des mariniers avec l’administration de la Compagnie.

Le film évoque encore la réalité sur la rive et sur la terre ferme : avec la crise économique, apparaissent les crève la faim, les voleurs à la tire... On voit les regards envieux, l’âpreté des rapports humains, l’exploitation des hommes, on voit des files entières de gens qui attendent devant un panneau où il est écrit : "pas d’embauche"... Les usines touchées par la crise.


L’Atalante : photo extraite du film

Ainsi ce roman sentimental qui présente comme une histoire de notre temps sur un fond de légendes éternelles, présente-t-il aussi tous les aspects d’un récit réaliste qui permet au lecteur, à travers la qualité de la peinture, de se représenter mieux cette époque marquée par les développements de l’industrie et des techniques. L’apparition de nouvelles machines - le phonographe par exemple, qui tient une place si importante dans le film - mais aussi par tous les problèmes sociaux et humains liés au développement du monde moderne. Toutes ces qualités font de ce film un précieux instrument de connaissance historique.


en marge du film, un site consacré aux péniches : pnich.com

 

Catégories
  • Jean Vigo et le cinéma