PHILOSOPHIE ET DÉSIR.
Désir et raison : depuis l'origine, la philosophie met la raison ("logos") à l'honneur. Mais justement, serait-il raisonnable de condamner le désir, cette tendance qui nous porte - souvent impétueusement - vers un but, une fin, sous prétexte qu'il est irrationnel ?
La philosophie aurait mauvaise grâce à condamner le désir, elle qui EST un désir : "philo-sophia", amour ou recherche de la sagesse, du savoir. Philosopher, c'est désirer devenir plus sage ; c'est donc bien désirer.
D'après Platon, la raison a pour fonction de commander la volonté, laquelle est à son tour faite pour commander au désir (au fait, le désir n'est-il pas spontané ? Comment commander ce qui est spontané ? On devrait plutôt dire : en maîtriser les conséquences). Pourtant, seul le désir peut mettre la raison en mouvement ; c'est son stimulant nécessaire, son "aiguillon" comme disait Socrate, car elle ne se meut pas elle-même.
On dira qu'il s'agit là d'un bien triste désir, intellectuel (on devine déjà l'emploi populaire du terme "platonique"). Mais l'intellect n'est pas coupé du reste de notre être : même s'il a ses propres règles, il est également capable de dialoguer avec nos autres facultés : imagination, sensibilité, affectivité, mémoire, etc.
Le désir qui anime la raison, l'intellect, n'est pas coupé des autres désirs : lorsque la beauté fait naître un désir, l'élan ainsi créé emporte la raison elle-même du même coup vers de nouvelles connaissances, de nouveaux "beaux discours", comme cela ressort de la lecture du Banquet ou du Phèdre de Platon.
Il n'y a pas l'amour d'un côté et la philosophie de l'autre. Il y a UN Amour aux multiples visages ; c'est le même qui s'exprime tour à tour dans la sensualité ou dans la réflexion philosophique !
C'est Diotime qui le dit dans le Banquet. Elle est prêtresse : pour une fois qu'une femme a la parole en philosophie à propos de l'amour, écoutons-la, cela pourrait nous aider à progresser vers plus de sagesse...
Laurent KADDOUR, Professeur de Philosophie.