Jean Vigo et Jean Dewasne

Souvenirs ...

Publié le vendredi 18 décembre 2009 20:19 - Mis à jour le jeudi 16 mai 2013 13:29

Jean Vigo descend d’une famille illustre dont les ancêtres furent viguiers d’Andorre. Son père, Eugène Bonaventure de Vigo, né à Bezins-Garraux, petit village des Pyrénées, le 15 janvier 1883, arriva très jeune à Paris en 1900 où il milita dans les milieux anarchistes.

D’abord apprenti-photographe, il connut la misère et ses activités libertaires lui valurent même de fréquents séjours en prison ce qui ne fit que l’enraciner dans ses convictions : là, par provocation, il adopta le pseudonyme d’Almereyda, anagramme de "Y a la merde". Miguel Almereyda sonnait aussi à la fois espagnol et anarchiste, ce qui était tout à fait bien adapté à l’idée que l’on se faisait du militant au drapeau noir. C’est sous ce nom qu’il devint relativement célèbre : en 1902, alors qu’il n’a que 20 ans, on le trouve secrétaire de rédaction du journal anarchiste "Le Libertaire", puis il fonde "La Guerre Sociale" et juste avant la guerre de 1914 "Le bonnet rouge". C’est d’ailleurs dans les milieux journalistiques qu’il rencontra celle qui allait devenir sa compagne attentive et dévouée : Emily Clero, militante anarchiste comme lui.

Jean Vigo naquit trois ans plus tard le 26 avril 1905, dans une petite mansarde sale où régnait la misère. C’est peu dire que "Nono", comme l’appelaient les anarchistes, amis de ses parents, eut une enfance tumultueuse et désordonnée, ballotté qu’il était à toute heure du jour et de la nuit, de réunions en meetings. (Une anecdote sans doute authentique veut que Jean Vigo ait assisté à l’assassinat de Jean Jaurès le 31 juillet 1914, au café du Croissant où son père l’avait amené).

Le malheur et la maladie poursuivaient la famille Vigo. Almereyda dont les positions à propos de la guerre avaient oscillé entre pacifisme et patriotisme, fut emprisonné à Fresnes,

 

alors qu’il était dans un état de santé déplorable. C’est là qu’il mourut le 14 avril 1917, dans des circonstances fort mal élucidées. Le jeune garçon adorait son père, qui a toujours vu en lui le héros d’une noble cause.

L’enfant que sa mère n’a pas les moyens d’élever, part vivre chez ses grands-parents : Gabriel Aubès, second mari de sa grand-mère, obtient la garde de Jean. Il est envoyé à Nîmes en pension chez les Ducros afin de poursuivre sa scolarité. Jean Vigo, profondément perturbé par la mort de son père et les changements intérieurs dans sa vie, tombe alors gravement malade.

Sur les conseils d’un médecin, il quitte Nîmes pour Millau où il devra vivre en dissimulant sa véritable identité par précaution, en raison des engagements politiques de son père et c’est sous le nom de Jean Salles qu’il fut inscrit au Collège de Millau.

Comme ce fut le cas pour Jules Vallès au collège du Puy, les 4 années (1918-1922) au cours desquelles Jean Vigo fut élève à Millau, sont des années essentielles dans sa vie. Le souvenir de son père, la tristesse de l’internat se conjuguent pour faire grandir en lui la révolte et le cri dont il se souviendra dans "Zéro de conduite". On peut donc considérer que le chef-d’oeuvre du futur cinéaste a pris corps peu à peu dans sa sensibilité écorchée d’orphelin. En fait, le collège de Millau ne devait être ni pire ni meilleur qu’un autre, mais il se trouve que c’est là que cet enfant de libertaire révolté et fragile a mûri.

Jean Vigo quitte Millau pour le lycée de Chartres en 1922. En 1925, il obtient son baccalauréat de philosophie, quitte Chartres, s’inscrit à la Sorbonne mais pense essentiellement à faire du cinéma, passion que semble lui avoir soufflé Gabriel Aubès.

Mais ce projet est remis à plus tard. Sa santé, encore défaillante, l’oblige à partir de Paris pour suivre un traitement à Font-Romeu. C’est là qu’il rencontre sa future femme, Lydu (Elisabeth Losinska) qu’il épouse le 24 janvier 1929 et avec qui il aura une fille (Luce). Ils partent s’installer à Nice où il n’obtient qu’un travail temporaire d’assistant-réalisateur.

Grâce à l’aide financière de son beau-père, Jean Vigo achète une caméra d’occasion et envisage la réalisation d’un court-métrage sur Nice. "A propos de Nice connut à Paris un succès d’estime, sans plus. "

Par la suite, il obtient deux commandes, l’une sur Jean Taris, champion de natation, l’autre sur le célèbre tennisman Henri Cochet. Seul, la première aboutira et pour un résultat médiocre. Il doit même revendre sa caméra. C’est dans ce contexte difficile que naît sa fille Luce le 30 juin 1931.

Sur le point de se décourager, Jean Vigo fait alors une rencontre décisive, celle de Jacques-Louis Nunez avec qui l’acteur René Lefèvre l’a mis en rapport. Cet homme d’affaires voulait se lancer dans la production cinématographique. Dès juillet 1932, les deux hommes sympathisèrent et retinrent deux idées : l’une de Nunez (la réalisation d’un moyen métrage sur la Camargue), l’autre de Jean Vigo (sur la vie d’enfants au collège). En novembre 1932, c’est finalement le projet de Jean Vigo qui est retenu : ce sera " Zéro de conduite".

Certes, il ne s’agissait pas d’une super-production. Le projet limité impliquait des acteurs peu connus - quatre acteurs professionnels seulement -. La durée du tournage en studio, imposée par Gaumont, n’était que de sept jours auxquels s’ajouteront cinq jours en extérieur. Mais Jean Vigo n’en était pas moins très heureux de pouvoir enfin tourner un film et de surcroît sur un sujet qui lui tenait à coeur : cette vie d’enfant au collège était d’abord la sienne.

Le tournage commence le 12 décembre 1932 mais la malchance poursuit Jean Vigo : la censure frappe"Zéro de conduite" d’une interdiction totale qui ne sera levée qu’après la 2e guerre mondiale. Deux ans plus tard, "L’Atalante" fut réalisée dans de meilleures conditions que "Zéro de conduite" mais Jean Vigo était déjà très malade et ne put assister qu’à une projection du premier montage. Atteint de septicémie, il mourut dans de terribles souffrances le 5 octobre 1934. Il fut enterré au cimetière de Bagneux, à coté de son père Almereyda. Il n’avait que 29 ans.

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